Des ingénieurs australiens
ont mis au point un procédé de stockage de l’électricité fondé sur la circulation d’électrolytes liquides. Principale application envisagée : la régulation de la production des éoliennes.
Située entre l’Australie et la Tasmanie, King Island n’a pas l’apparence d’une île aux portes du futur. Pourtant, un grand hangar construit sur sa côte ouest abrite un système de stockage d’électricité qui pourrait révolutionner l’énergie éolienne.
King Island n’est pas reliée au réseau électrique continental. En plus de sa petite centrale éolienne, elle a longtemps dépendu de générateurs Diesel pour subvenir à ses besoins en électricité. Mais les choses ont changé en 2003, lorsque la compagnie d’électricité locale a installé un énorme accumulateur de nouvelle génération, dit accumulateur à circulation au vanadium. Lorsque le vent souffle fort, les éoliennes produisent plus d’électricité que les habitants n’en ont besoin.
L’accumulateur stocke alors l’excédent d’énergie et le restitue lorsque le vent faiblit. L’utilisation de ce système a réduit de presque 50 % la quantité de fioul consommée par les générateurs thermiques, ce qui permet aussi d’éviter chaque année le rejet de plus de 2 000 tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.
La part d’énergie éolienne est passée de 12 à 40 %
Adapter l’offre à la demande s’avère particulièrement problématique avec les énergies renouvelables. Le vent ne souffle pas toujours lorsqu’on en a besoin, ce qui oblige les compagnies d’électricité à prévoir une centrale classique pour les jours où il n’y a pas de vent et pour les périodes de forte consommation. C’est pourquoi un moyen efficace de stockage et de redistribution de l’électricité à grande
échelle donnerait aux énergies renouvelables un coup de pouce bienvenu.
Divers types d’accumulateurs existent déjà. Mais, si chaque technologie a ses avantages, les accumulateurs à circulation semblent répondre à une plus large palette de besoins : ils peuvent stocker de l’énergie aussi bien pour des petits groupes électrogènes que pour des grands réseaux, et ce à un prix compétitif.
Leur technologie est plus complexe que celle des accumulateurs classiques. Dans une batterie plomb-acide, par exemple, l’électricité est stockée sous forme d’énergie chimique dans la pile elle-même. Dans le cas des accumulateurs à circulation, on utilise deux électrolytes [liquides conducteurs à base d’ions], qui n’ont pas le même potentiel d’oxydoréduction (l’affinité des électrolytes pour les électrons) et
sont contenus dans des réservoirs externes à l’accumulateur. Lorsqu’il faut fournir de l’électricité, chacun des électrolytes est pompé dans la moitié d’une cuve séparée en deux par une fine membrane. La différence de potentiel d’oxydoréduction entre les deux liquides provoque un échange de charges électriques à travers la membrane, ce qui génère un courant qui est récupéré par des électrodes. Un courant injecté par une source d’énergie extérieure, ici les éoliennes, permet
d’inverser la réaction électrochimique et de régénérer les électrolytes, qui peuvent alors être reversés dans leurs réservoirs.
L’origine de l’installation de King Island remonte aux années 1980, lorsque Maria Skyllas-Kazacos, une jeune ingénieure chimiste australienne, a entamé des recherches sur les accumulateurs à circulation à l’université de Nouvelle-Galles du Sud, à Sydney. Après plus de dix ans de mise au point, la licence d’exploitation de sa technique a été accordée à une entreprise de Melbourne, Pinnacle VRB.
C’est elle qui a monté l’accumulateur à circulation sur King Island. Celui-ci fonctionne avec 70 000 litres de solution de sulfate de vanadium stockés dans de grands réservoirs en métal, et peut fournir 400 kilowatts pendant deux heures d’affilée. Depuis sa mise en service, la part moyenne d’électricité éolienne dans le réseau de l’île est passée d’environ 12 % à 40 %.
La durée de vie des accumulateurs devrait largement dépasser celle de deux à trois ans d’une batterie plomb-acide. A l’instar des batteries plomb-acide, les accumulateurs à circulation restituent jusqu’à 80 % de l’électricité utilisée pour les charger, mais eux gardent cette efficacité pendant plusieurs années. Pour accroître le rendement de l’accumulateur en période de pointe, il suffit d’ajouter des cuves. La quantité d’énergie qu’il stockera peut être augmentée presque à
l’infini en fabriquant des réservoirs plus grands. Il s’agit donc d’une technique qui permet de concevoir des accumulateurs capables de fournir aussi bien 1 kilowattheure (autant qu’une grosse batterie d’automobile) que plusieurs centaines de mégawattheures dans une centrale électrique.
Des petits accumulateurs à circulation au vanadium sont déjà disponibles au Japon, où ils sont utilisés entre autres comme générateurs de secours dans des usines. Aux Etats-Unis, un accumulateur de 2 mégawattheures installé à Castle Valley, dans le sud-est de l’Utah, a permis à la compagnie d’électricité locale, PacifiCorp, de
répondre à des pics de demande de plus en plus importants, et ce sans avoir à augmenter la capacité de la ligne de distribution vieillissante qui alimente la zone. La technologie mise au point à l’université de Nouvelle-Galles du Sud est aujourd’hui appliquée par l’entreprise VRB Power Systems, de Vancouver, au Canada. Celle-ci a signé l’année dernière un contrat de 6,3 millions de dollars [4,8 millions d’euros] pour installer un accumulateur au vanadium de 12 mégawattheures dans la centrale éolienne de Sorne Hill, à Donegal, en Irlande. L’objectif est de garantir l’alimentation en électricité éolienne et d’améliorer la
situation financière de la centrale. Celle-ci pourra revendre au réseau l’électricité stockée pendant les périodes de pointe, durant lesquelles les tarifs sont les plus élevés.
L’entreprise a mis en service une nouvelle ligne de production permettant de fabriquer chaque année 2 000 accumulateurs de 5 kilowatts. Les douze premiers sont actuellement testés entre autres par le Conseil national de la recherche du Canada et par l’un des plus grands opérateurs de téléphonie mobile d’Amérique du Nord. Aujourd’hui, comme tous les nouveaux produits, les accumulateurs à circulation sont plus chers que leurs concurrents. Mais la mise en service de la
nouvelle ligne de production pourrait bien changer la donne.
De plus, les chercheurs continuent leurs travaux. Les solutions au sulfate de vanadium ne pouvant pas être très concentrées, les batteries à circulation au vanadium stockent environ moitié moins d’énergie que les batteries plomb-acide. On ne peut donc pas les utiliser pour des applications où la compacité et la légèreté sont primordiales. C’est pourquoi Maria Skyllas-Kazacos et son équipe cherchent maintenant à remplacer le sulfate de vanadium par du bromure de vanadium, au moins deux fois plus soluble. Les résultats de leurs travaux devraient être
connus d’ici à 2008.
VRB Power Systems a déjà testé ses accumulateurs dans des voiturettes de golf électriques. Tout comme les véhicules électriques existants, les voitures équipées d’un accumulateur à circulation pourront être rechargées en les branchant sur une prise électrique. Peut-être même qu’un jour on pourra tout simplement remplir leur réservoir avec de l’électrolyte régénéré, et la solution usagée pourra être recyclée.
Peu importe que nous fassions ou non un jour le plein de vanadium à la pompe : King Island a prouvé que les accumulateurs à circulation ont déjà un rôle pratique à jouer, en permettant à l’énergie produite par le vent de continuer à filer dans les lignes électriques même lorsqu’il n’y a pas un souffle d’air. Vous ne vous rendrez peut-être même pas compte qu’elle est là, ce qui est sans doute le plus beau compliment qu’on puisse lui faire.
Tim Thwaites
New Scientist
http://www.newscientist.com/
http://www.courrierinternational.com/article.as...&obj_id=70316
ont mis au point un procédé de stockage de l’électricité fondé sur la circulation d’électrolytes liquides. Principale application envisagée : la régulation de la production des éoliennes.
Située entre l’Australie et la Tasmanie, King Island n’a pas l’apparence d’une île aux portes du futur. Pourtant, un grand hangar construit sur sa côte ouest abrite un système de stockage d’électricité qui pourrait révolutionner l’énergie éolienne.
King Island n’est pas reliée au réseau électrique continental. En plus de sa petite centrale éolienne, elle a longtemps dépendu de générateurs Diesel pour subvenir à ses besoins en électricité. Mais les choses ont changé en 2003, lorsque la compagnie d’électricité locale a installé un énorme accumulateur de nouvelle génération, dit accumulateur à circulation au vanadium. Lorsque le vent souffle fort, les éoliennes produisent plus d’électricité que les habitants n’en ont besoin.
L’accumulateur stocke alors l’excédent d’énergie et le restitue lorsque le vent faiblit. L’utilisation de ce système a réduit de presque 50 % la quantité de fioul consommée par les générateurs thermiques, ce qui permet aussi d’éviter chaque année le rejet de plus de 2 000 tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.
La part d’énergie éolienne est passée de 12 à 40 %
Adapter l’offre à la demande s’avère particulièrement problématique avec les énergies renouvelables. Le vent ne souffle pas toujours lorsqu’on en a besoin, ce qui oblige les compagnies d’électricité à prévoir une centrale classique pour les jours où il n’y a pas de vent et pour les périodes de forte consommation. C’est pourquoi un moyen efficace de stockage et de redistribution de l’électricité à grande
échelle donnerait aux énergies renouvelables un coup de pouce bienvenu.
Divers types d’accumulateurs existent déjà. Mais, si chaque technologie a ses avantages, les accumulateurs à circulation semblent répondre à une plus large palette de besoins : ils peuvent stocker de l’énergie aussi bien pour des petits groupes électrogènes que pour des grands réseaux, et ce à un prix compétitif.
Leur technologie est plus complexe que celle des accumulateurs classiques. Dans une batterie plomb-acide, par exemple, l’électricité est stockée sous forme d’énergie chimique dans la pile elle-même. Dans le cas des accumulateurs à circulation, on utilise deux électrolytes [liquides conducteurs à base d’ions], qui n’ont pas le même potentiel d’oxydoréduction (l’affinité des électrolytes pour les électrons) et
sont contenus dans des réservoirs externes à l’accumulateur. Lorsqu’il faut fournir de l’électricité, chacun des électrolytes est pompé dans la moitié d’une cuve séparée en deux par une fine membrane. La différence de potentiel d’oxydoréduction entre les deux liquides provoque un échange de charges électriques à travers la membrane, ce qui génère un courant qui est récupéré par des électrodes. Un courant injecté par une source d’énergie extérieure, ici les éoliennes, permet
d’inverser la réaction électrochimique et de régénérer les électrolytes, qui peuvent alors être reversés dans leurs réservoirs.
L’origine de l’installation de King Island remonte aux années 1980, lorsque Maria Skyllas-Kazacos, une jeune ingénieure chimiste australienne, a entamé des recherches sur les accumulateurs à circulation à l’université de Nouvelle-Galles du Sud, à Sydney. Après plus de dix ans de mise au point, la licence d’exploitation de sa technique a été accordée à une entreprise de Melbourne, Pinnacle VRB.
C’est elle qui a monté l’accumulateur à circulation sur King Island. Celui-ci fonctionne avec 70 000 litres de solution de sulfate de vanadium stockés dans de grands réservoirs en métal, et peut fournir 400 kilowatts pendant deux heures d’affilée. Depuis sa mise en service, la part moyenne d’électricité éolienne dans le réseau de l’île est passée d’environ 12 % à 40 %.
La durée de vie des accumulateurs devrait largement dépasser celle de deux à trois ans d’une batterie plomb-acide. A l’instar des batteries plomb-acide, les accumulateurs à circulation restituent jusqu’à 80 % de l’électricité utilisée pour les charger, mais eux gardent cette efficacité pendant plusieurs années. Pour accroître le rendement de l’accumulateur en période de pointe, il suffit d’ajouter des cuves. La quantité d’énergie qu’il stockera peut être augmentée presque à
l’infini en fabriquant des réservoirs plus grands. Il s’agit donc d’une technique qui permet de concevoir des accumulateurs capables de fournir aussi bien 1 kilowattheure (autant qu’une grosse batterie d’automobile) que plusieurs centaines de mégawattheures dans une centrale électrique.
Des petits accumulateurs à circulation au vanadium sont déjà disponibles au Japon, où ils sont utilisés entre autres comme générateurs de secours dans des usines. Aux Etats-Unis, un accumulateur de 2 mégawattheures installé à Castle Valley, dans le sud-est de l’Utah, a permis à la compagnie d’électricité locale, PacifiCorp, de
répondre à des pics de demande de plus en plus importants, et ce sans avoir à augmenter la capacité de la ligne de distribution vieillissante qui alimente la zone. La technologie mise au point à l’université de Nouvelle-Galles du Sud est aujourd’hui appliquée par l’entreprise VRB Power Systems, de Vancouver, au Canada. Celle-ci a signé l’année dernière un contrat de 6,3 millions de dollars [4,8 millions d’euros] pour installer un accumulateur au vanadium de 12 mégawattheures dans la centrale éolienne de Sorne Hill, à Donegal, en Irlande. L’objectif est de garantir l’alimentation en électricité éolienne et d’améliorer la
situation financière de la centrale. Celle-ci pourra revendre au réseau l’électricité stockée pendant les périodes de pointe, durant lesquelles les tarifs sont les plus élevés.
L’entreprise a mis en service une nouvelle ligne de production permettant de fabriquer chaque année 2 000 accumulateurs de 5 kilowatts. Les douze premiers sont actuellement testés entre autres par le Conseil national de la recherche du Canada et par l’un des plus grands opérateurs de téléphonie mobile d’Amérique du Nord. Aujourd’hui, comme tous les nouveaux produits, les accumulateurs à circulation sont plus chers que leurs concurrents. Mais la mise en service de la
nouvelle ligne de production pourrait bien changer la donne.
De plus, les chercheurs continuent leurs travaux. Les solutions au sulfate de vanadium ne pouvant pas être très concentrées, les batteries à circulation au vanadium stockent environ moitié moins d’énergie que les batteries plomb-acide. On ne peut donc pas les utiliser pour des applications où la compacité et la légèreté sont primordiales. C’est pourquoi Maria Skyllas-Kazacos et son équipe cherchent maintenant à remplacer le sulfate de vanadium par du bromure de vanadium, au moins deux fois plus soluble. Les résultats de leurs travaux devraient être
connus d’ici à 2008.
VRB Power Systems a déjà testé ses accumulateurs dans des voiturettes de golf électriques. Tout comme les véhicules électriques existants, les voitures équipées d’un accumulateur à circulation pourront être rechargées en les branchant sur une prise électrique. Peut-être même qu’un jour on pourra tout simplement remplir leur réservoir avec de l’électrolyte régénéré, et la solution usagée pourra être recyclée.
Peu importe que nous fassions ou non un jour le plein de vanadium à la pompe : King Island a prouvé que les accumulateurs à circulation ont déjà un rôle pratique à jouer, en permettant à l’énergie produite par le vent de continuer à filer dans les lignes électriques même lorsqu’il n’y a pas un souffle d’air. Vous ne vous rendrez peut-être même pas compte qu’elle est là, ce qui est sans doute le plus beau compliment qu’on puisse lui faire.
Tim Thwaites
New Scientist
http://www.newscientist.com/
http://www.courrierinternational.com/article.as...&obj_id=70316
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